OM : Bielsa, l’absent aigu Mathieu GRÉGOIRE 16 août 2015 à 19:56
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Franck Passi (à dr.) et Vincent Labrune, dimanche, lors du match Reims-Marseille. Franck Passi (à dr.) et Vincent Labrune, dimanche, lors du match Reims-Marseille. (Photo Andre Ferreira. Icon Sport) REPORTAGE Défaits à Reims dimanche, les Marseillais restent sous le choc du départ fracassant du coach argentin. Provisoirement entraîné par Franck Passi, le club est aujourd’hui obnubilé par ses résultats financiers.
Homme de peu de mots, Franck Passi, l’entraîneur intérimaire de l’OM, a résumé un dimanche après-midi de gâchis : «Notre équipe aurait pu avoir une meilleure image.» Marcelo Bielsa n’est plus là, et il faut désormais se concentrer sur l’essentiel de ce sport, les onze mecs sur le terrain, proprement dépassés par les Rémois (1-0). On passe aux questions sur l’après-Bielsa, il fait chaud, il fait de plus en plus chaud dans la salle de presse, mais Passi reste imperturbable. Il hausse le ton, d’un décibel - avec lui tout est dans la mesure : «Il faut arrêter avec le traumatisme, on a mis notre mouchoir dessus le week-end dernier. On ne peut pas se cacher derrière ce genre d’excuses. Et ce n’est pas parce qu’on perd un match qu’on va parler de la jeunesse de l’équipe. On a manqué d’efficacité et d’agressivité dans les duels.»
Il a décidé de parler à son groupe, mardi, à la reprise de l’entraînement. Pourquoi pas, après tout ? Après un an à ressasser les leçons de Bielsa, le degré d’écoute des Olympiens est limité. Interrogé sur la possibilité d’un nouveau coach originaire d’Italie, l’attaquant Romain Alessandrini a trituré la visière de sa casquette : «Encore un étranger, avec des interprètes et tout… Ça serait bien compliqué.»
Dimanche, à l’orée de la rencontre, un intendant a déposé la fameuse glacière juste derrière Passi, torse moulé dans un polo violet. Les joueurs marseillais se sont réunis en cercle, juste avant le coup d’envoi, pour invoquer des puissances célestes. La grosse centaine de supporteurs marseillais présents devant leur hôtel rémois, le Best Western de la rue Buirette, avaient mêlé un peu plus tôt haine et amour dans leurs chansons, alternant les «Bielsa no se va» («Bielsa ne t’en va pas») et les «Casse-toi». Les consultants de BeIn Sports se sont, eux, frictionnés : Bruno Cheyrou critique la lâcheté du technicien argentin, Luis Fernandez le reprend vertement. A Reims, Bielsa n’était pas là, mais il était partout.
On l’a retrouvé dans les petits yeux de Philippe Pérez, le directeur général de l’OM. Le président, Vincent Labrune, cache les siens derrière des lunettes noires. On dirait que les deux hommes sortent de discothèque. Ils sont épuisés par les réunions à répétition, la quête de l’improbable successeur, attendu d’ici à la fin du mois. «Je ne suis pas du matin», glisse le boss de l’OM. Mais, sans Bielsa, y aura-t-il encore des matins heureux ? «L’Olympique de Marcelo», selon l’expression du vétéran Lucho González (à Marseille de 2009 à 2012), est redevenu l’Olympique des modestes.
Le budget pour trouver un remplaçant est certes conséquent, on parle ici d’une enveloppe de 7 millions d’euros. L’effectif comporte deux tauliers (Mandanda, Nkoulou) et quelques perles, comme l’attaquant Michy Batshuayi, à la rue dimanche mais convoité par des clubs anglais prêts à mettre le pactole (30 millions), le latéral gauche Benjamin Mendy, suivi par la Juventus Turin, ou l’offensif Florian Thauvin, désiré par Newcastle malgré des prestations décevantes depuis dix-huit mois. Mais la parenthèse enchantée offerte par Marcelo Bielsa s’est bel et bien dissipée. L’OM se rappelle désormais qu’il est un club français comme les autres, jouant sa survie au quotidien sur des choix financiers, restant à la merci d’une saison sans qualification pour la Ligue des champions.
Comparaison audacieuse
Ce week-end, André-Pierre Gignac a claqué un triplé au Mexique ; André Ayew a marqué avec sa nouvelle équipe de Swansea ; Dimitri Payet a porté West Ham sur son dos ; Giannelli Imbula a enfin appris à lâcher son ballon du côté de Porto. Tous ont quitté Marseille cet été. Le rêve est passé. Labrune, en habile stratège, avait commencé à faire passer la pilule dès la fin février : «Parfois, je me demande comment c’est possible d’avoir eu un entraîneur du calibre de Bielsa pour cette saison. Comme si on avait recruté Lionel Messi pour douze mois.» La comparaison est audacieuse, pas totalement infondée. Messi-Bielsa, même combat, les projecteurs braqués sur eux, le monde entier qui tourne autour de leur pomme.
Le technicien argentin a réussi un truc incroyable : il a donné de la visibilité au moindre acteur de la Ligue 1, de Pascal Dupraz à Willy Sagnol, chacun étant sûr d’exister quelques minutes en l’adulant ou en le critiquant. Il a rempli un Vélodrome avec un style de jeu enthousiasmant, parfois dantesque, qui faisait dire à beaucoup de fans, en mai : «J’ai préféré l’OM de Bielsa, quatrième de L1, à celui de Baup [moins sexy, ndlr], dauphin du Paris-SG en 2013.»
La culture du résultat est de retour, mais il est d’abord financier. Aujourd’hui, il ne reste plus que Labrune, ses longs discours sur «l’argent, le nerf de la guerre», ses bilans comptables, ses actifs, ses passifs, sa balance entre ventes et achats de joueurs. Le président de l’OM nous dit : «En juin, on a terminé l’exercice dans le positif, ce sera pareil en juin 2016. Notre budget augmente, avec 25 à 30 millions de revenus en plus sur le cycle 2016-2020, où tous les indicateurs seront au vert [recettes de billetterie, sponsoring, droits télé] et une masse salariale allégée. Le football français est structurellement déficitaire, on se bat pour vivre et garder une équipe compétitive.» Et le foot dans tout ça ? «La saison dernière, il a fallu une opération du Saint-Esprit pour qu’on ne soit pas en Ligue des champions.»
Le colonel Kurtz
Allez expliquer ça à Bielsa, qui ramène tout à ses schémas tactiques. Un joueur, parti de Provence avant lui cet été, confie : «Il s’asseyait sur une chaise, avec sa feuille et son crayon, et on l’écoutait pendant des heures. Les journalistes disaient qu’il était fou, mais on ne le trouvait pas fou du tout, il passait du temps à nous expliquer le football, à nous faire comprendre pourquoi on faisait tel exercice plutôt que tel autre. Je n’avais jamais vu ça. Il était complètement dans le foot, ne parlait qu’à travers le foot, mais cela nous permettait de comprendre des choses au-delà du foot. Il était le personnage central du club, mais aussi le coach le plus honnête que j’ai connu.»
Dans le Journal du dimanche, Romain Alessandrini a ajusté le coach argentin : «Humainement, je n’en garderai pas un grand souvenir […]. Il ne nous a même pas serré la main [au moment de son départ, ndlr].» Pauvre Alessandrini. Il n’a toujours pas compris qu’il a fréquenté pendant plus d’un an le colonel Kurtz d’Apocalypse Now, et pas un vulgaire personnage de la Reine des Neiges. On obéit à ces mecs-là, on n’en attend pas la moindre affection sous une pluie de flocons.
Au stade Auguste-Delaune, à Reims, on a vite compris que ce serait compliqué sans le colonel Bielsa. Mario Lemina enchaîne parfaitement la combinaison gris-gris puis pertes de balle, sans se faire engueuler par son banc, ce qui ne manque d’ailleurs pas de le surprendre. Karim Rekik ne sait plus où se placer, et laisse Steve Mandanda enchaîner les parades. Et, surtout, il y a Lucas Ocampos, qui attend qu’on le prenne par la main pour traverser la rue. Passi observe, sans broncher. C’est un dur au mal, qui ne se plaint jamais. En mai 2014, il a attendu un rendez-vous avec Bielsa pendant des semaines, allant jusqu’à décaler ses vacances pour savoir s’il serait conservé dans le staff. Il nous avait dit, fataliste : «Dans le foot, nous ne sommes pas des fonctionnaires, avec tout le respect que j’ai pour eux. Nous bossons en CDD, habitués au changement et à l’incertitude.»
Moloch marseillais
Son ami Robert Nazaretian, vice-président de l’Association OM et dinosaure du centre de formation, raconte : «Quand Franck jouait à l’OM, en 1986, il traînait une sale blessure à la cuisse, il ne guérissait pas. Alors il a joué avec la douleur et m’a dit : "Si je ne le fais pas, je ne jouerai jamais."» Ces dernières saisons, il n’était pas rare de voir Passi faire les exercices les plus physiques avec les pros. Il avait aussi sorti l’équipe réserve de l’OM des tranchées de la Division d’honneur, où elle était reléguée, apprenant à des minots à relancer proprement de derrière malgré les ornières et les tacles assassins de l’adversaire, alias le mécano ou le boulanger du coin. En fin de saison, il s’était inventé un retard fictif pour gonfler la cagnotte des amendes et avait invité toute l’équipe au restaurant O’Zen, au centre des ruelles pavées d’Aix-en-Provence. Zen, l’OM ne le sera jamais, et Passi ne restera qu’un intérimaire. «Je serais tout à fait capable d’en faire le numéro 1, j’y ai pensé, mais ça me paraît trop dangereux, trop risqué pour lui dans ce contexte. Je n’ai pas envie de le brûler», assure Labrune, qui a déjà consumé quatre entraîneurs depuis son arrivée à la présidence en juin 2011. Tant mieux pour Passi. Le moloch marseillais en engloutira un autre et les lueurs rougeoyantes de ce brasier distrairont les derniers fous qui croient soutenir un grand club. Par Mathieu Grégoire Envoyé spécial à Reims
_________________ "Tudor n’a aucune raison de l’aligner, ça peut être que mauvais pour lui si Payet est bon" "Anigo: tactiquement il est au dessus de Tudor"
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