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Envisager d’interviewer Vincent Labrune revient à se lancer dans un gymkhana de plusieurs semaines. L’homme répond facilement au téléphone, mais se plaît à choisir le bon moment. «Après les vacances», «après le début du Championnat», «après le mercato»… L’été du président de l’Olympique de Marseille a été copieux. Une fois digéré l’échec sportif de la saison passée, il a dû chambouler son effectif et, surtout, encaisser la déflagration de la démission d’«el Loco» Bielsa, homme vitrine du projet OM.
Finalement, trois conversations téléphoniques de réglage (au total 75 minutes quand même) plus tard, la rencontre a eu lieu le 11 septembre dans son bureau de la Commanderie. «Je suis crevé !», a-t-il lancé d’entrée. Ça se voyait. En un peu moins de deux heures, le dirigeant phocéen a beaucoup fumé, a parfois trouvé nos questions «débiles», a donné sa vision du cas «Marcelo», a vanté «le charme et la compétence» de son nouvel entraîneur, Michel. Surtout, il a parlé économie du football, «actifs joueurs» et cash-flow. Ce qui nous a permis de mieux saisir ce qui se passe dans la tête de cet homme de 44 ans, qui gouverne aux destinées de l’OM depuis maintenant quatre ans.
PREMIÈRE JOURNÉE CATASTROPHE DE L1 POUR L’OM, BATTU PAR CAEN AU VÉLODROME (0-1), ET ASSOMMÉ LE SOIR MÊME PAR LA DÉMISSION SURPRISE DE MARCELO BIELSA.
«Le 8 août, je suis sous le choc après notre défaite. Quand j’apprends la démission de Marcelo Bielsa, c’est la stupéfaction absolue ! Comment puis-je m’y attendre ? Même si le départ deux jours plus tôt de son bras droit [Jan] Van Winckel m’a interpellé. Je préfère passer pour un imbécile que de mentir, mais, aujourd’hui encore, son départ est incompréhensible. Nous avons mis du temps à nous apprivoiser, mais, une fois surmontés les soubresauts du début de saison 2014-15 et passé la barrière culturelle, nous avons bâti une relation de confiance. Surtout, de la fin du Championnat, le 23 mai, au 15 juin, nous passons quatre-cinq heures par jour à la Commanderie à bâtir l’équipe la plus compétitive possible tout en tenant compte des contraintes économiques. Trois semaines à étudier des profils de recrues, à réfléchir aux joueurs qui vont nous quitter. Un travail main dans la main, sur un projet moins ambitieux, certes, sans Ligue des champions, mais qui ne suscite aucune objection de sa part. Quand Marcelo part en vacances en Argentine, il a un accord de principe sur la signature d’un nouveau contrat. À son retour, vers le 10 juillet, nous reprenons notre travail d’arrache-pied. Il lui est alors très facile de me dire : ‘‘Je ne sens pas le projet, je ne suis pas content.’’ Une semaine avant sa sortie rocambolesque, il me parle encore de cet Argentin [Milton] Casco, qu’il veut absolument…»
DEPUIS JUIN, BIELSA N’AVAIT TOUJOURS PAS RENÉGOCIÉ SON CONTRAT. LE PRÉSIDENT OLYMPIEN EST PERSUADÉ QUE LA QUESTION DU SALAIRE A ÉTÉ DÉTERMINANTE DANS SON DÉPART
« A posteriori, étant un connaisseur historique du personnage, je ne suis pas si surpris par son changement de cap. Son explication basée sur un désaccord contractuel est un prétexte. Lors des négociations, nos discussions ne portent pas sur la durée de son contrat, mais sur sa rémunération. Au départ, il y a un écart gigantesque entre sa position et celle de l’actionnaire (Margarita Louis-Dreyfus). Marcelo se sent membre d’une caste, celle de la petite quinzaine des très grands entraîneurs au monde, et ça a un prix ! Au final, nous trouvons un accord.
On me dit que Marcelo n’a pas été tendre avec moi, qu’il m’a fracassé en conférence de presse… Mais a-t-il déjà été tendre avec un président de club ou de fédération ? J’ai pris sur moi pour travailler avec lui. Il est dans sa bulle, vit dans l’opposition à ses référents. Je refuse l’idée qu’il m’a échappé. Oui, il y a eu des incompréhensions. Entre nous, c’était parfois du téléphone arabe, avec ses collaborateurs qui ne lui répétaient pas tous mes propos de peur de se fâcher avec lui et les miens qui ne comprenaient pas tout. »
VINCENT LABRUNE CONSIDÈRE L’EXPÉRIENCE BIELSA COMME UN SUCCÈS. L’IMAGE DE L’OM S’EST AMÉLIORÉE EN FRANCE ET EN EUROPE. IL VEUT QU’ON LUI EN FASSE CRÉDIT.
«Bielsa à Marseille, c’est moi qui ai l’idée au printemps 2014. Je connais par cœur l’histoire des sélections argentines depuis 1982 (Bielsa dirigea l’Argentine de 1998 à 2004). Je le choisis pour qu’il prenne la place sur le devant de la scène. Connaissant par cœur sa philosophie de jeu, je sais qu’il sera une fantastique vitrine pour Marseille. L’équipe entre dans le nouveau stade avec l’impératif économique de le remplir, d’apporter un grain de folie… À ce titre, l’expérience Bielsa est une réussite totale.
Quand je le recrute au terme de la saison 2013-14, l’ambiance autour du club est délétère. C’est une catastrophe, nous venons de finir sixièmes du Championnat. La saison précédente, déjà, l’équipe, qui terminera deuxième, se faisait insulter et jouait dans un stade à moitié vide. Nous sommes une industrie de spectacle, il me faut un personnage emblématique pour redonner du souffle au peuple marseillais. Mais l’OM n’a pas les moyens de se payer Ibrahimovic ni même une vedette à 20 millions. Avec Bielsa, les spectateurs ont été servis. Grâce à lui, l’OM est entré dans le top 10 des meilleures affluences en Europe (53 000 spectateurs) et a fini sixième attaque (76 buts) d’Europe derrière le Real, le Barça, Manchester City, le PSG et le Bayern. Ces chiffres marquent l’entame d’une révolution structurelle que j’ai souhaitée. L’OM ne doit plus être une PME marseillo-marseillaise. Grâce à son style spectaculaire et à la personnalité de Marcelo, l’OM est revenu au centre du jeu médiatique français, mais aussi européen. De nombreux observateurs étrangers nous ont suivis, cela a contribué à la valorisation de nos actifs joueurs. »
LEADER DE L1 FIN 2014, L’OM S’EFFONDRE EN 2015. VINCENT LABRUNE RACONTE QU’IL L’A SENTI VENIR, SANS POUVOIR INFLUER SUR LA MÉTHODE BIELSA.
«La quatrième place de mai dernier est un échec sportif, c’est un fait ! Nous avions l’un des deux meilleurs effectifs de Ligue 1 et, vu les efforts gigantesques consentis en 2014 pour faire venir Bielsa et tout son staff puis pour garder nos meilleurs joueurs, quitte à ce qu’ils partent libres cette année (Gignac, Ayew), l’objectif de la direction était de finir premier ou deuxième. Quand l’équipe plonge début 2015, on me reproche de ne pas stopper la chute ! Vous croyez que je dormais ? Il n’y a pas président plus présent que moi auprès de son staff et de son groupe. Dès janvier, j’alerte sur des choses qui m’inquiètent. Mais, où qu’il officie, Marcelo Bielsa a toujours la responsabilité entière du sportif. Donc, si ça marche, c’est grâce à lui, et si ça ne marche pas, ne m’expliquez pas que c’est la faute du président ! Il y a des pistes pour expliquer l’effondrement de l’équipe : relâchement de certains joueurs, surcharge de travail physique, raisons tactiques... Mais on me répond : ‘‘Pas de problème, tout va bien.” Marcelo, il a 60 ans, c’est une sorte de génie absolu de la tactique footballistique. On ne lui explique pas son boulot. Si on veut faire ça, on prend le gardien du parking comme coach ! À sa décharge, seulement quatre penalties sont sifflés en notre faveur (contre 14 pour le PSG et 12 pour l’OL, ses concurrents directs[COLOR=#072433][FONT=Georgia]). On a la deuxième meilleure attaque de Ligue 1 et on a plus de penalties contre nous que pour ! Il faut l’inventer celle-là quand même ! La saison passée, le classement du haut du tableau a été largement impacté par des décisions arbitrales. Involontaires évidemment... »