Dans Libé: Petit Ogre: Aussi loin que l’on s’en souvienne, Mathieu Valbuena a toujours mené sa barque en milieu hostile. Et dans la suspicion : sur le niveau et sur le mec, jugé arrogant. Magie du storytelling, ça peut se raconter autrement. C’est ce que la star de l’Olympique de Marseille a fait dans un bouquin que l’on appréciera d’abord - c’est la loi du genre - pour ce qu’il dit du jeu préféré des hommes. Sinon, la sortie du livre nous a valu de déjeuner avec l’intéressé dans une zone industrielle du XIe arrondissement de Marseille. On s’est offert un plaisir de roi : intercepter l’addition, 80,10 euros, les émoluments du milieu de terrain international étant estimés à quelque 220 000 euros mensuels hors primes. Ça l’a secoué. On s’en est étonné, d’autant qu’il a baissé les yeux, pour la première et dernière fois en plus d’une heure d’entretien.
C’est très précisément ce que l’on a essayé de comprendre. Le bouquin, lui, raconte des choses simples : la trajectoire d’un petit (1,67 mètre) joueur dans lequel personne ne croit, qui se retrouve contraint de passer par le CFA 2 (5e échelon) et Langon-Castets après avoir été viré du centre de formation de Bordeaux et qui devient l’élément décisif de l’Olympique de Marseille, et même des Bleus durant une sorte de parenthèse enchantée à l’automne 2010. Le foot étant ce qu’il est, ça donne ceci : «J’ai vraiment découvert le star-system un mois après avoir signé à l’OM. C’était dans une pizzeria, à Aix-en-Provence. Je règle avec la carte bleue. Quand elle me rapporte le reçu, la serveuse, jolie, a pris soin d’inscrire un numéro de portable au dos. Le sien. C’est sûr que tu as vite fait de te prendre pour Brad Pitt.»
Lequel Brad Pitt n’a aucune chance de se poser dans une pizzeria d’Aix-en-Provence : c’est là que l’on veut en venir. Un mois plus tôt, Valbuena gagnait 700 euros mensuels à Libourne, en national (3e échelon). Le jour où la fille griffonne son numéro de portable sur le reçu, il en gagne 18 000. Un contrat de qualif à l’échelle du vestiaire marseillais. Ce salaire ne ment pas : il dit que Valbuena est loin de l’équipe première. Mais le joueur ne le sait pas. Ce qu’il sait : il porte le sigle de l’OM sur son maillot d’entraînement, le club le loge dans un hôtel de luxe et tout cela lui donne le sentiment d’avoir ratiboisé Fort Knox. Devant nous, il plaide en partie le malentendu : «Je ne me sentais pas légitime. Même lors de la visite médicale [qui valide les contrats, ndlr], j’étais gêné que le docteur s’occupe de moi alors qu’il était habitué à d’autres noms, à d’autres corps : Franck Ribéry, Samir Nasri, Mamadou Niang… Quand je leur serrais la main dans le vestiaire, j’étais déjà mal. Après, j’en faisais un peu trop. J’étais à Disneyland.» A l’échelle d’un type venu jouer son banco, il va souffrir.
Un jour, il retrouve sa voiture garée sur le parking réservé à l’équipe réserve. Un autre, ils s’y mettent à cinq ou six pour balancer Valbuena tout habillé dans la piscine d’un hôtel.
Un autre jour, un équipier «très connu» (selon un témoin, le défenseur Ronald Zubar) lui met à l’entraînement un tacle à casser une jambe. On passe sur les petites tracasseries, du type sel dans le verre d’eau : c’est toujours sur lui que ça tombe. Pour les besoins du livre, Valbuena balance un nom sans importance: celui d’Habib Beye, qui exerce désormais son art à Doncaster [2e échelon anglais]. Mais ses tourmenteurs d’alors sont connus : Ribéry et Nasri, qui pèsent à l’époque quelque 30 millions d’euros à la revente pour le club phocéen. L’entrée de Valbuena dans le grand monde commence donc par une terrible leçon : le talent a tous les droits. Celui de ne pas rendre de comptes ou un minimum, de se comporter de manière dégueulasse et de transformer en souffre-douleur un type qui tente de faire son trou sans rien demander à personne et en serrant les dents. Dès lors, on se demande forcément ce qu’il en reste dans la psyché de l’intéressé.
On est servi : Valbuena est un type dur, échaudé, qui sait l’importance du mot de travers dans le foot. On comprend vite qu’au fond, il se considère sur un fil, comme en survie. Joueur à Libourne, il renverse une ado de 14 ans qui traverse la route devant lui. «La fille a fait un soleil pour retomber derrière la voiture. Je l’ai vue inanimée dans le rétroviseur. La fraction de seconde où ça s’est passé, j’ai pensé au foot et aux conséquences sur ma carrière. Sa mère était en pleurs sur la chaussée.» La fille n’avait qu’un fémur cassé. Valbuena est passé à l’hôpital avec des fleurs. Il ne s’est toujours pas débarrassé de l’image du corps inanimé. Le 25 décembre 2010, il pulvérise sa Lamborghini Murciélago LP640 - 640 chevaux sous le capot - contre le rail de sécurité d’une rocade près de Bordeaux. «J’aime la vitesse. Après, en tort, pas en tort… J’ai cru que c’était un film. Au moment où je perdais le contrôle, tout me semblait ralenti. J’ai pensé au foot. Tout est toujours par rapport à ça.» Le joueur veut y voir un symbole : celui de la fragilité des choses, «une vie, ça ne tient à rien». On a interprété autrement le fait qu’il revienne souvent là-dessus : le frisson rétrospectif.
Nasri, Ribéry et consorts n’ont rien vu venir. Valbuena est un ogre. Il lui en faut énormément. Quand la plupart passent leurs vacances à lézarder en ne pensant à rien, cet amoureux des voyages - «j’aimais déjà la géographie à l’école» - fait de la plongée sous-marine. En 2006, il choisit l’OM contre le Stade rennais, qui lui offrait pourtant des garanties en termes de temps de jeu. Dans un monde aussi rationalisé que celui du sport de haut niveau, ce choix est un non-sens. Le père du joueur, fonctionnaire territorial et importantissime dans la carrière du fiston, se garde pourtant d’intervenir. Il sent quelque chose. Pape Diouf, qui préside alors l’OM, comprend aussi et le lui dit : «Le fait que tu aies choisi l’OM plutôt que la sécurité prouve que tu as un mental différent des autres.» C’est du sport : la preuve par le fait. Valbuena court encore le frisson. Comme à 8 ans, à Lacanau, quand sa mère laborantine le surveillait depuis la plage à la jumelle. «Des heures passées dans l’eau, à faire du bodyboarden me tamponnant les surfeurs… J’étais complètement insouciant. Je me prenais des vagues de deux mètres, et les gamelles qui vont avec. Quand j’y repense…» Quand il y repense, il a les yeux qui brillent. Valbuena ne s’arrêtera jamais, ou pas tout seul.
Alors, l’addition ? On s’est creusé la tête. Première possibilité : il a tellement rincé son entourage qu’il ne sait même plus que ça peut se passer autrement. La deuxième : il y a vu une marque de respect, qu’il retourne comme il peut. La troisième : Mathieu Valbuena vit dans un monde bien rangé où les dirigeants payent pour les joueurs, les joueurs pour les agents, les agents pour les journalistes. Disons que c’est un peu tout ça. En 5 dates
28 septembre 1984 Naissance à Bruges (Gironde).
Avril 2003 N’est pas retenu par le centre de formation de Bordeaux.
1er juin 2006 Signe à Marseille pour 80 000 euros.
3 octobre 2007 Marque à Liverpool en Ligue des champions (1-0).
Janvier 2012 Publie son autobiographie, Mon parcours du combattant, (Editions du Rocher).
_________________ Welcome de Zerbi!!!
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