Très intéressant !
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ENTRETIEN. Nice – OM : « Les joueurs ont du mal à établir un discours qui ne soit pas formaté »
Thibaud Leplat, écrivain et professeur de philosophie, était présent en tribunes le soir du match. Il explique comment a évolué le comportement des joueurs au fur et à mesure de la soirée, alors que ceux-ci sont scrutés de près par de nombreux supporters.
Avez-vous compris le geste d’énervement de Dimitri Payet face au public ?
Il avait tiré un premier corner quelques minutes avant les incidents, où il avait déjà failli se prendre des bouteilles. Mais il n’avait pas témoigné de gestes d’énervements envers les tribunes. Il avait aussi raté une occasion où il s’était fait moquer par toute la tribune. Et au moment de l’incident, il a le dos tourné, il n’y a aucun geste de provocation. Il a été surpris par le projectile.
Je crois que ce qui a mis le feu aux poudres, c’est quand Alvaro intervient et balance un ballon dans la tribune. Le geste d’Alvaro a été plus mal vu que le geste d’énervement de Payet. Parce qu’Alvaro n’avait rien à voir et a sciemment visé la tribune. Payet a eu un réflexe imprudent, parce qu’on ne peut pas répondre à une tribune. C’est imprudent, il a 34 ans, il connaît. En revanche, je trouve injuste de s’en prendre à lui, car, dans l’histoire, c’est lui la victime
« Les joueurs niçois ont été dépassés par ce qu’il se passait »
Alvaro serait donc plus coupable dans cette histoire ?
C’est un équilibre très fragile les foules. Une foule c’est sauvage, vous n’êtes pas confronté à la rationalité. Ça se joue sur des équilibres précaires, surtout dans des foules comme celles-là qui font la loi sur le service d’ordre. Je crois que le geste de Payet a été compris par la Populaire, mais pas l’intervention des deux autres (Alvaro et Matteo Guendouzi). Guendouzi ne jette rien, alors qu’Alvaro c’est un signe de provocation. Compte tenu en plus de la réputation d’Alvaro, de joueur-supporter. Ce qui n’excuse absolument pas en revanche le comportement des supporters niçois, qui est déplorable.
Les joueurs niçois ont aussi semblé hésitants lors des débordements…
Ils ont été dépassés par ce qu’il se passait. Au début, ils sont allés voir Alvaro pour lui demander des explications sur son comportement avec les fans. Ça a donné un peu le « droit » aux supporters d’intervenir pour se défendre. Et à ce moment-là, les joueurs niçois se sont retournés contre leurs supporters en leur signifiant que ce n’était pas une raison pour intervenir. C’est un enchaînement d’irresponsabilités. La foule s’est sentie agressée et s’est défendue.
N’y a-t-il pas une difficulté pour les joueurs à réagir face à ce type d’évènement ?
L’exemplarité des joueurs, elle existe de fait. Les joueurs sont des modèles, qu’ils le veuillent ou non. Ce sont des images, on va épier leurs réactions. Est-ce que sur ce type d’évènement ils peuvent exiger certaines choses ? Est-ce qu’ils sont sommés de défendre une position ? J’estime que oui. Les joueurs niçois n’auraient pas dû revenir sur le terrain, en solidarité avec leurs collègues marseillais. Le naufrage de cette soirée a été le retour des Niçois sur la pelouse. Ça a tourné à la mascarade.
Il aurait fallu prendre plus de hauteur. Il était évident que les joueurs marseillais n’allaient pas revenir. Je m’étonne de voir des joueurs qui ont autant de mal à établir un discours qui ne soit pas un discours formaté. Quand on parle d’autres évènements qui n’ont rien à voir avec le sport, comme les violences policières, on voit que certains joueurs sont capables d’avoir une opinion politique. Par contre, quand ça concerne leur intérêt direct, ils ont du mal à ne pas se comporter comme des moutons.
Pour nuancer, à la toute fin de soirée, on a demandé aux joueurs niçois d’aller saluer la Populaire. Ils sont partis, et on les a renvoyés sur le terrain. Les joueurs ont hésité, ils se sont avancés et il y a eu un conciliabule entre certains joueurs, dont Dante. Certains ne voulaient pas aller saluer la Populaire, alors qu’ils le font traditionnellement à la fin de chaque match. Certains se sont tournés, ils ont salué l’autre côté du stade, et finalement se sont arrêtés dans le rond central, en saluant de loin tous les gens qui étaient là.
Mais on voit le mal qu’ils ont à prendre une décision. Alors qu’il y avait des faits objectifs qui étaient inacceptables. Si l’inverse était arrivé dans un autre stade, les joueurs niçois ne seraient pas revenus sur le terrain. Il y a une vision partisane qui s’est mélangée à une instrumentalisation politique, qui a fait que tout le monde a perdu sa lucidité. Le seul qui a été véritablement lucide a été Pablo Longoria (président de l’OM).
« Les joueurs ont peur de se mettre à dos les ultras »
Aucun joueur niçois ne s’est exprimé depuis pour condamner les actions des supporters dimanche. Y a-t-il un problème dans la prise de parole des joueurs ?
Il y a une peur qui règne, à différents niveaux. Peur de perdre les ultras, qui reviennent dans les stades. Il y a eu beaucoup de fumigènes, de bouteilles, peu de stadiers. Une espèce d’angélisme lié au retour du public. Il y a une peur à l’intérieur des clubs vis-à-vis de leurs ultras. C’est un problème qui s’est posé dans d’autres championnats aussi. Peur de se faire péter la voiture, de se faire cambrioler, qu’ils viennent aux entraînements… Ils ont un discours sur-représenté dans les médias, alors qu’ils incarnent 5 % du public. Ils ont tendance à avoir le monopole de la parole, parce qu’ils ont un discours organisé. On n’entend jamais les autres. Il y avait des gens autour de moi, avec des enfants, qui étaient atterrés de voir ce qu’ils ont vu.
Les choses pourraient-elles évoluer dans la prise de parole des joueurs après ce match ?
Il va y avoir un avant et un après. Il y a une unanimité qui se crée contre cet évènement-là. Les joueurs sont concernés, simplement ils ont peur de se mettre à dos les ultras. Ils ont peur pour leur famille, c’est une peur physique. Dans une ville comme Nice, les gens savent où vous habitez. Ils savent qu’il peut y avoir des représailles. Et on ne parle que de quelques dizaines de personnes, qui imposent leur loi au reste. C’est gravissime. Il est temps que chacun reprenne ses esprits et assume ce qu’il s’est passé. Car s’il ne se passe rien avant la semaine prochaine, ça va être l’escalade et la surenchère.
Il faut que les dirigeants reprennent en main leurs responsabilités et qu’ils condamnent unanimement ce qu’il s’est passé. C’est inacceptable ce qu’on a entendu, Jean-Pierre Rivère (président de l’OGC Nice) est ambigu, comme Christian Estrosi (maire de Nice) et Éric Ciotti (député des Alpes-Maritimes). On voit bien qu’il y a un fond de clientélisme électoral. La Ligue s’est contentée de deux lignes de communiqué, alors que quand il s’agit de saluer l’arrivée de Messi, on a eu droit à la prose du président Vincent Labrune.